Les jeux vidéo face à l’obsolescence programmée

Réfrigérateurs, voitures, batteries de téléphone, imprimantes,… La liste des objets de notre vie quotidienne soumise à l’obsolescence programmée est longue. Mais qu’en est-il pour les œuvres ludiques  devenues immatérielles comme les jeux vidéo ?

L’obsolescence programmée immatérielle

L’association HOP définit l’obsolescence programmée de la manière suivante : « Qu’elle soit esthétique, technologique, technique ou logicielle, l’obsolescence programmée regroupe l’ensemble des techniques visant à réduire délibérément la durée de vie ou d’utilisation d’un produit afin d’en augmenter le taux de remplacement. »

Les techniques sont diverses et variées : ampoules irremplaçables, batteries non amovibles, utilisation de composants fragiles, incompatibilité entre les marques,… On se retrouve ainsi avec des machines à laver qui sont bridées à 2 500 cycles de lavage, des télévisions qui défaillent après 20 000 heures de fonctionnement, des cartouches d’encre d’imprimantes qui sont signalées vides alors même qu’elles contiennent encore jusqu’à 40% d’encre.

Depuis les années 2010, un autre type d’obsolescence programmée fait son apparition grâce à l’avènement du « tout-dématérialisé », celle des logicielles, des programmes, des applications et bien évidemment celles des jeux vidéo. La dématérialisation dans le monde vidéo-ludique a séduit pour des raisons de coûts. L’investissement est beaucoup moins important pour un jeu dématérialisé que pour un titre que l’on va retrouver en magasin (absence de frais de fabrication, moins d’intermédiaires, prix d’achats plus abordables,…). Mais comment exister à long terme sans support physique ? Quel est la nouvelle durée de vie des jeux vidéo ?

Une salle de conservation de consoles de jeux

Une nouvelle DLC pour les jeux vidéo ?

Jusqu’au début des années 2010, la durée de vie des jeux vidéo faisait référence au temps qu’il faut pour finir l’aventure. On a pendant longtemps plébiscité les productions à rallonge. On veut en avoir pour son argent, et ça veut dire « jouer longtemps, longtemps,… ». Parfois utilisée comme critère pour mesurer la qualité d’un jeu, la durée de vie est remise en question par des joueurs qui y ont vu une escalade infinie vers des aventures allant jusqu’à 107 heures comme le célèbre Dragon Quest VII.

Si la question a été pendant longtemps « Mais qui peut jouer à des titres interminables à part des enfants qui ont le temps ?« , aujourd’hui, c’est plutôt « Sur quoi va-t-on jouer ?« . Face à ce patrimoine effaçable, la dématérialisation est devenue la hantise de certains joueurs. On garde en souvenir la date du 20 mai 2014, lorsque Nintendo a décidé de fermer les serveurs de la Wii et de la DS/DSi. A partir de ce moment, impossible de jouer avec le mode en ligne sur des titres sortis auparavant sur les deux consoles.

Comme le rappelle le média en ligne Business Insider France :

De plus en plus de produits fonctionnent avec des interfaces basées uniquement sur le cloud.

La perte des données fait partie des risques non négligeables de cette approche informatique qui consiste à exploiter via Internet (ou tout autre réseau WAN) des ressources système et applicatives.  Ces pertes peuvent être causées par une attaque informatique du Datacenter, une attaque physique comme un incendie ou un bombardement, une catastrophe naturelle, ou même simplement à un facteur humain chez le fournisseur de services, par exemple en cas de faillite de la société.

Un héritage vidéo-ludique en question

En février 2017, Pixel Museum, le premier musée permanent de France dédié aux jeux vidéo ouvrait ses portes près de Strasbourg. L’ambition de ce lieu est de raconter l’histoire de ce « 10ème art » et de transmettre un patrimoine aux générations futures. Pour Sébastien Genvo, professeur à l’université de Metz et chercheur en jeux vidéo, un musée montre que « les jeux vidéo ne sont pas seulement un objet technique », mais « un objet de mémoire à transmettre » et « qu’ils survivent indépendamment de leur âge ». Là est la question.

Si les consoles seront toujours réparables, conservées, présentées. Qu’en sera-t-il des œuvres de la création, des jeux dématérialisées ?

Le collectif One Life Remains joue avec cette notion d’héritage notamment avec le jeu « Générations ». Cette application est conçu pour être joué pendant des siècles. L’idée est extrême. Contrairement à un jeu vidéo classique, il est impossible de terminer « Générations » de notre vivant, à part si la science allonge la durée de vie des humains de 200 ans.

Dans les faits, le premier joueur décide à qui le jeu sera transmis, tout comme pour un héritage. La notion de patrimoine est exploitée à son paroxysme. Les différents joueurs-successeurs vont devoir construire une stratégie à long terme. 

Ce jeu soulève de nombreuses questions :

Peut-on transmettre un fichier numérique enregistré de la même manière que nous passons une photo de famille ? Peut-on avoir du plaisir à jouer le jeu avec comme objectif de permettre à un lointain héritier de voir la fin du jeu ?

Mais la question centrale est bien évidemment celle de l’obsolescence d’un média numérique particulier. Conçu pour être utilisé avec la technologie d’aujourd’hui, comment vais-je transmettre ce média ? Considérer le jeu et son matériel comme un tout ? Exporter vers un nouveau support ?

Si « Générations » est un jeu, ses problématiques sont pourtant bien réelles et présentes. A nous de trouver les solutions !

À propos de l'auteur

Dite le petit futé de BEJOUE, elle aime les histoires de jeux et de gens, les enquêtes de terrain au pied de son immeuble, et la moquette dans les pubs.